mercredi 13 juin 2012

L'IMPERTURBABLE RÊVE


On a beaucoup parlé de « rêve » dans ces dernières semaines. On a utilisé ce mot comme défouloir des vérités communicantes, en utilisant cette notion avec approximation. Qui sait ! les propos tenus étaient peut-être pleins de ce fondement qui construit cet état second qui nous permet les plus grandes ou les plus petites destinées.
Chacun connaît, se souvient ou non d’un rêve. On le véhicule à souhait quand l’existence devient violence, tristesse, angoisse voire avenir incertain. Mise en relation avec l’impossible, le rêve est une source invariable et constante de l’imaginaire. Il est souvent la transpiration obligatoire de notre être le plus profond. Il rejoint l’inaccessible ou plafonne dans la prise des bonnes décisions, des solutions à des situations problématiques. Il constitue le théâtre intime où la comédie, la tragédie se transforme en vécu avec notre état d’être.
L’expérience du rêve est universelle, mais la signification ne peut être communiquée et traverser l’objectivité, sauf à s’autodétruire.
Il peut être source d’une création forte. Inspire-t’-il l’écrivain, le peintre, le sportif ? A t’il un impact sur le « à vivre » demain ? Constitue t'il le remède ou la source constante du rendez-vous que l’on refuse avec le pire ou le meilleur ?
Verlaine dans « Mon rêve familier » (Poèmes saturniens)
« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? je l'ignore.
Son nom? je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues. »

Il faut laisser à chacun la part de rêve qui lui revient en ayant lu ce merveilleux poème.
Nombre sont les génies et les auteurs célèbres du passé, qui relatèrent dans leurs souvenirs ou leurs mémoires des exemples où des rêves ont apporté durant leur sommeil la solution d'un problème qui les tracassait. De grands artistes, d'éminents savants, des sportifs de haut niveau, ont ainsi apporté un témoignage précieux illustrant le rôle joué par les rêves dans le processus d'invention et de création.
« Le rêve est une manifestation psychique fugitive de l'inconscient survenant durant notre sommeil et dont nous gardons partiellement le souvenir au réveil. »(Pierre Genève: La Science des Rêves, Euredif 1972)
Souvenons-nous de ce fameux troisième rêve, fait le 10 novembre 1619 que raconta Descartes  (à la troisième personne) :
«Ce qu'il y a de singulier à remarquer, c'est que doutant si ce qu'il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c'était un songe, mais il en fit encore l'interprétation avant que le sommeil le quittât.»
De ce rêve résulta le fameux, "Je pense, donc je suis" qui aurait pu être avantageusement remplacé par "Je rêve donc je crée"."

Pour le psychanalyste, le rêve, qui échappe au contrôle du moi, fait communiquer inconscient et conscient. Ses contenus, malgré leur non-sens apparent, sont signifiants. Le rêve s'effectue pendant le sommeil paradoxal (tonus arrêté, activité neurologique intense). On se décharge de ses désirs coupables et irréalisables. Il y a un scénario figurant un drame, une action. Le rêveur croit à la réalité du rêve, et ne peut le soumettre à la critique. Le rêve échappe à la volonté et à la responsabilité du rêveur. Il s'y traduit l'excitation sensorielle et la préoccupation du rêveur. Les images sensorielles sont assez pauvres en couleur, en définition ou en précision. Ce qui donne l'impression de richesse est son vécu, fort en densité.
Le rêve a-t-il comme compagne l’insomnie ?
« L’insomnie creuse l’intelligence », écrivait Duras. Calvaire pour les uns, l’insomnie semble être, pour d’autres, une aire salutaire de liberté et de création (Gide, Kafka, Nerval, Prévert, Barbara, etc.). Les spécialistes du sommeil nient toutefois qu’il puisse exister des insomniaques heureux. « Chez les artistes, le désir de créer les propulse volontairement dans un état d’hyperexcitation qui les tient en éveil », explique Agnès Brion, psychiatre au Centre du sommeil à la Pitié-Salpêtrière. Mais la véritable insomnie, elle, fait toujours souffrir. Quant à l’équation « création = nuits sans sommeil », rappelons qu’Einstein dormait onze heures par nuit.

À côté du scientifique, l’auteur invente le personnage à mesure qu’il l’écrit, contrairement à l’acteur qui – sauf dans le cadre de l’improvisation – travaille sur un texte préexistant . Ce n’est pas à un, mais à plusieurs personnages qu’il est amené à s’identifier, certains pouvant avoir des points de vue diamétralement opposés. «  Je dirai que le degré de schizophrénie que cela lui impose est encore plus grand ». (François Berthelot)

Le rêve est plein de mystères. Il est séduisant, charismatique. Il est créatif. Je pense profondément qu’il est source de dépassement dans le bon comme dans le mauvais. Il donne la force ou l’anéantit. Il est un mot d’une puissance rare. Il possède en lui-même sa négation. Ami et ennemi, il fusionne les fondations de l’écrit. C’est un débat qui, je crois, ne connaîtra jamais de fin, sauf un jour où l’homme aura disparu de l’Ordre universel.

Jean-Yves Couteau

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